- DOUCET (J., 1853-1929)
- DOUCET (J., 1853-1929)DOUCET JACQUES (1853-1929)À la fois couturier et mécène, Jacques Doucet a témoigné à travers sa carrière de la fusion nouvelle entre la mode et les courants esthétiques et littéraires de la Belle Époque. Héritier du magasin familial à l’adresse déjà renommée, 21, rue de la Paix, qui se partageait entre la boutique de lingeries et dentelles de sa mère et le commerce de chemiserie dirigé par son père, il incarne la troisième génération d’une dynastie laborieuse. Élargissant la gamme des produits proposés, il crée un rayon de couture sur mesure, qui peu à peu va l’emporter sur les autres activités de la maison. Signe de fidélité à la tradition familiale, les toilettes créées par Jacques Doucet comportent des dentelles (souvent anciennes) et des ornements de lingerie: le jeune couturier compose pour ses clientes éprises de nostalgie une mode évocatrice des grâces du XVIIIe siècle. Il n’est pas à proprement parler l’inventeur d’une forme de robe ou d’un vêtement, mais il est l’interprète d’une conception de la féminité, fragile, fluide et infiniment sophistiquée.Son art s’épanouit essentiellement dans de coûteuses robes d’intérieur, des négligés et déshabillés mousseux. Accompagné de son collaborateur José de La Peña, et de ses assistants, parmi lesquels on citera Paul Poiret (de 1898 à 1900) et Madeleine Vionnet (de 1907 à 1912), Jacques Doucet élabore un style arachnéen, à base de combinaisons de dentelles, de plissés, de broderies: la superposition des transparences, caractéristique de Doucet, qui crée autour du corps féminin un bouillonnement vaporeux, renvoie à l’idéal d’une féminité désincarnée, diaphane, que la peinture et la poésie symbolistes évoquent alors.C’est de mousseline, de tulle, de satin, aux nuances pastel, que Doucet revêt ses clientes; les fleurs brodées, tissées, imprimées ou peintes dont il pare ses robes évoquent aussi bien le répertoire végétal rococo, comme les grosses roses Pompadour, que celui de l’Art nouveau, du lys à l’orchidée, avec une prédilection pour les hortensias bleus qui ornent manteaux et robes d’apparat, référence au recueil de poèmes de Robert de Montesquiou.Les clientes de Doucet sont surtout les femmes de la haute société européenne, séduites par le luxe de ses créations, et rassurées par le caractère somme toute assez conventionnel de son inspiration, nourrie de pittoresques réminiscences, comme les manches ornées d’engageantes (manchettes de dentelle) ou les fichus Marie-Antoinette et d’autres détails empruntés aux portraits du XVIIIe siècle, dont Doucet a entrepris, à titre personnel, une collection. Le couturier habille également les actrices et les danseuses, de Cléo de Mérode à Gabrielle Dorziat, mais sa meilleure inspiratrice est sans doute Réjane, qu’il habille tant à la ville qu’à la scène, notamment dans le rôle de Zaza (1898).Pourtant, malgré les succès rencontrés dans sa carrière de couturier, c’est surtout à sa passion de collectionneur, de mécène, que Jacques Doucet a consacré son énergie. La première étape de l’engagement de l’esthète a été la constitution d’un important ensemble de meubles et d’œuvres d’art du XVIIIe siècle français. Sans vouloir rivaliser avec les richissimes amateurs qui ont accumulé les toiles de Boucher et de Watteau, les meubles signés et les tapisseries des Gobelins, Jacques Doucet semble d’abord se limiter à des œuvres intimistes, dessins, portraits au pastel, tableaux de maîtres mineurs. Pour abriter ce qui devient peu à peu une collection, bientôt célèbre, il fait aménager un hôtel particulier, ouvert en 1907, et accessible aux visiteurs une fois par semaine.Le couturier mécène a parallèlement amassé, par centaines, des ouvrages et des catalogues qui seront le noyau d’une riche bibliothèque d’histoire de l’art.Bientôt lassé de son palais-musée, Jacques Doucet disperse en 1912, au cours d’une vente historique, l’ensemble de sa collection, dont les pièces les plus admirées étaient les dessins de Watteau, de Fragonard et d’Hubert Robert, les pastels de Quentin de La Tour et de Perronneau.Frappé par l’attrait et la force de la modernité, il entreprend alors l’installation d’un appartement décoré par des artistes d’avant-garde: Legrain, Eileen Gray, Iribe et jusqu’à Poiret, dont l’atelier de décoration, «Martine», a conçu un salon entier. L’appartement est décoré de quelques tableaux impressionnistes, de La Muse endormie de Brancusi, de La Charmeuse de serpents du Douanier Rousseau, et des Demoiselles d’Avignon de Picasso, œuvre acquise à l’instigation d’André Breton, devenu le secrétaire et le conseiller artistique du couturier.C’est à André Breton, à Aragon, à Robert Desnos que Doucet a recours pour constituer, à ses frais, une importante bibliothèque littéraire contemporaine; au même moment, l’exigence esthétique du collectionneur s’est encore accentuée: ayant cédé sa maison de couture en 1925, il semble avoir renoncé à la mode ainsi qu’à toute influence de la mode dans le domaine esthétique; il se sépare des œuvres auxquelles il est le moins fondamentalement attaché (les tableaux impressionnistes) et compose, dans son éphémère «studio» à Neuilly (1928), un ensemble qui doit exprimer la quintessence de la modernité, et dont il est lui-même l’ordonnateur impérieux; il exige des objets qu’on crée pour lui un raffinement extrême qui situe sa conception de l’avant-garde aux antipodes des recherches de fonctionnalisme du Bauhaus ou d’un Le Corbusier. Le couturier, alors âgé de soixante-quatorze ans, ne jouit guère qu’une année de ce studio.Si le contenu des trois collections successives de Jacques Doucet a été largement dispersé, deux bibliothèques parisiennes qui furent données par le couturier à l’Université témoignent encore de son œuvre de mécène et de bibliophile: la Bibliothèque littéraire Jacques-Doucet (10, place du Panthéon) et la bibliothèque d’Art et d’Archéologie. Longtemps logée 3, rue Michelet, dans l’Institut d’art et d’archéologie, cette dernière est installée depuis 1992-1993 dans les locaux de la Bibliothèque nationale. Elle fera partie du futur Institut national d’histoire de l’art.
Encyclopédie Universelle. 2012.